LA ROUTE D ‘ARLES

 

 

NUIT DU 30 AOUT 1997

 

 

     Son et lumières à la favella de la rue de l'Union: Giovani Paulo III célèbre son anniversaire. Le vieux chêne flambe dans le barbecue spécial grosses braises et ses reflets confèrent aux bouteilles de Ricard une honorabilité d'Orangina sanguine. Il y a là le public habituel: Chéri-j'ai-rétréci-Jacky, mon garde du corps, est arrivé dans les premiers, ce qui est une erreur stratégique. En effet, les doses de jaune que Jean-Paul proportionne dans les verres à bière sont propres a assommer un alcoolique de haut-niveau, un costaud avec le gosier en nickel chrome et le foie du  même métal alors, on peut raisonnablement craindre  que les cinquante kilos tout mouillés de  Jacky seront vite ébranlés par la badiane. Après la séance d'agressivité coutumière du petit mickey qui n'a pas peur des gros, il piquera un roupillon sous la pluie ou fera du tricycle sur les poutres. C'est ce que pronostique Roger, le douanier Rousseau, qui gère son verre avec la méticulosité d'un petit porteur qui feuillette son paquet d'actions du tunnel sous la Manche. C'est égal, il finira bien par se ruiner la santé. Dans cette attente, il s'échauffe pour son sport favori, le persiflage demi-mondain assorti de la dernière histoire drôle. Les douaniers c'est bien connu, ont toujours eu du temps libre, et, depuis que nos gouvernants bien-aimés ont repoussé les frontières loin de l'hexagone, ils ont des loisirs. Nous aurons droit à des histoires peaufinées, estampillées CEE et approuvées par les services vétérinaires. Les grands soirs, on a du grand Roger: il interprète " Félicie aussi " avec le son et le volume . L'idéal serait qu'il le fît debout sur la table, mais, à ma connaissance, aucune table n'est étudiée pour résister à son talent et à son poids.  Faut dire qu'il est primus inter pares dans la confrérie des To be Fat. Gros aussi est Bruno, le gitan, qui, n'ayant  pas trouvé de hérisson en promotion au centre Leclerc, vient se rabattre sur les ris d'Henry . Lui aussi pris un départ fulgurant et, rendu prudent par l'expérience accumulée, avale subrepticement de grands verres d'eau pour diluer le trop plein. Henri de Castelnaudary -puisque j'ai cité ses ris de veau  parlons de la bête-  s'affaire aux marmites, sérieux comme sa moustache, raide comme le pli de son pantalon (jamais de jeans), filiforme au pays des gros-lard, avec l'inquiétude raisonnée des gens qui sont sûrs de leur fait. En principe, il assure, que l'on soit dix ou cent, c'est toujours excellent. Titi, agriculteur de montagne que les méchantes langues disent spécialisé dans la prime précoce à grosses graines et la prestation familiale de haut rendement est arrivé en retard et rattrape son handicap avec méthode; Il a fauché toute l'après midi dans des pentes à trop de pour cent et son gosier à pris la même inclinaison. En épouse fidèle et dévouée, Julie l'accompagne dans sa prestation, unis pour le meilleur et pour le verre... Si dans le cochon tout est bon, chez Titi tout est rond, la panse, le visage, le cercle de famille, les gestes et la conversation -et lui aussi parfois, bien qu'il ait du savoir boire. Il a surtout une arme secrète, il ne boit pas de vin rouge à table, et, pendant que l'honorable assemblée s'abîme dans le douze cinq, il récupère lentement, en éteignant son oeil malin dans de grands verres d'eau fraîche. Pour avoir raison de lui, il faut le soumettre à la tentation d'un bon blanc sec, un petit sauvignon qui rebondit sur l'estomac et frappe derrière les oreilles; dans ce cas là, il est perdu. Un autre va tout droit à sa perte mais il ne le sait pas encore; c'est Norbert, le traditionnel nouveau; il faut toujours un nouveau  pour que les anciens soient plus à l'aise. Celui là est de la meilleure espèce: Il vient des Vosges ou de quelque Territoire de Belfort Nord-Oriental et n'a jamais bu de Ricard de sa vie, et très peu du reste, nous explique-t-il en ayant l'air de s'excuser. Son problème, c'est qu'il cherchera à s'intégrer, et ce sera dur pour lui. Norbert, c'est le nouveau petit camarade de jeu de Maria, et le premier qu'elle amène dans ce genre de sauterie. Ach! l' amour, toujours... Il promène un regard étonné sur la favella, un regard inquiet sur les hôtes du lieu et un regard concupiscent sur sa chère et tendre Maria. La Marie, elle est jolie et elle le sait, coquette sinon allumeuse. Pour le moment Chéri-j'ai-rétréci-Jacky essaie de la peloter en douce, au nom de leur vielle amitié.  Elle feint la distraction en surveillant l'effet produit sur les uns et l' autre...

        

         Un feu d'enfer sert d'alibi pour prolonger l'apéro, on ne passera à table que lorsque les braises seront prêtes. Le proche avenir nous confirmera ce que nous feignons ignorer: quand on mettra les côtelettes sur le grill il n'y aura plus que des cendres tièdes. Peu importe, c'est le rituel non écrit des anniversaires de Jean Paul, tout est  préparé au quart de poil, et un grain de sable dérègle la mécanique. Une année, c'est une invitée qui, ayant pris des goûts de luxe, trouve que l'assemblée manque de standing, le fait savoir avec la discrétion d'une basque du sud et jette, avant son expulsion, un grand froid dans l'assistance. Une autre année, le combat cesse prématurément en raison d'un rythme trop soutenu à l'apéro et il n'y a plus personne pour passer à table: Espel le magnifique est plié en huit dans sa R5, Chéri-j'ai-rétréci-Jacky dort dans le poulailler, Pierrot le trotzkard parle en braille et donne une conférence de stress aux verres vides, Henry de Castelnaudary, plongé dans un épais brouillard, vitupère contre le malheur des temps pendant que Titi, le menton dans l'estomac, somnole. En ces circonstances, même le héros de la soirée est sévèrement touché, il rit aux anges, comme un couillon, pendant que les deux ou trois fiancées passées présentes futures ou simultanées qu'il a fait la grâce d'inviter complotent avec son ex-épouse. Dans ces cas là, c'est tout vu, il dormira seul sur le matelas qu'il aura eu la prescience d'installer dans Framéto, son fidèle Citroën C25.         

         Pour l'instant la sono marque un répit appréciable; Led Zepellin a remplacé la techno que la marmaille avait poussé à fond, avant de s'installer dans le jardin pour manger entre belle jeunesse. Il est vrai que de nombreux convives ont commis l'oeuvre de chair avec des dames aux trompes de Salope non ligaturées et qu'ils se retrouvent, par manque de diplomatie, avec de la progéniture à garder...

                  

         C'est l'heure des anciens combattus, où l'on évoque, en les enjolivant et en confondant parfois les années, les Grandes Heures des anniversaires de Jean-Paul, le crêpage de chignon des soeurs Brontoë dans la salle de fêtes de Salas Bajas, le rapt, le dévoiement et la restitution d'El Kiko - le coq qui terrorisait Alquezar- , et un des épisodes les plus magnifiques , la grande prestation Roger et de Boboche, respectivement grimmés en Caballero Blanco et en Immaculée Dulcinée, pour l'ébaubissement du menu peuple aragonais.

        

         Est-ce-que ce monde est joyeux? Un coup d'air fait claquer la bâche de plastique bleu tendre. Tendre est la nuit, au sein des vieux bois, des vieux fers, des carcasses-rébus de chauffe-truc et de lave-machin, d'outillages incertains, du système nerveux des câbles électriques plus ou moins dénudés qui serpentent entre poiriers et poutrelles. L'escalier qui ne va nulle part se donne des airs de sculpture néo-existentialiste. Pour faire fête, Jean Paul a acheté quelques ampoules multicolores.

        

         Est-ce que ce monde est  joyeux? Magret de Saint Grat, la cane hobereaute, pointe son aile cassée sous les buissons, et s'aventure vers le brasero, dès fois qu'une merguez tomberait du Ciel, qui est bon pour les canards. Le chat Totoche émerge de la bétonneuse, exceptionnellement vêtu d'un gris ciment qui met du faste à ses rayures. Les poules et poulets maudissent le sort qui les a fait naître dans cette maison de fou, et tentent quelques explorations circonspectes hors du poulailler. Il n'y a pas de raton-laveur, Claudia la taupe modèle n'a pas poussé une galerie jusqu'ici, le milan est mort  et on espère un caméléon daltonien...

        

         Est ce que ce monde est joyeux? Pour la ènième fois, Bourvil nous vante les mérites de l'eau ferrugineuse, et pour la ènième fois, nous rions comme des enfants, en anticipant les répliques avec une élocution dont l'embarras ne trahit en rien un rôle de composition.

        

         Minuit approche, Roger nous passe un très vieux disque de Brel, des premiers, trois accords mineurs sur un tempo de chagrin, où l'on a l'impression que le chanteur se plagie himself. Il va falloir passer à table, avant que la salade refroidisse. A cette heure, une petite fille riche quitte le Ritz en Mercedes et va s'éclater du côté de l'Alma. Nous , on s'éclate la gueule dans la sérénité et on rentrera au petit jour en prenant le maquis, à trente à l'heure, par des chemins où jamais nos-amies-les-bêtes ne font du zèle. Pour vivre heureux, vivons cachés...

 

   

 

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