Quand Edouard Manet peignait Oloron

par Hervé Lucbéreilh

(Revue régionaliste des Pyrénées janvier décembre 1999)

et la récente découverte d’un tableau disparu par © Informatique Basco-Béarnaise Moderne  ™®



clic sur image pour agrandir…


            
C'est un curieux concours de circonstances qui conduisit un des plus grands peintres du XIXeme siècle, Edouard Manet (1832-1883), à séjourner à Oloron- Sainte-Marie, à y puiser une partie de son inspiration. Le séjour de celui dont le journaliste Albert Wolff écrivait, en 1879, qu'il "montrait le chemin de l'avenir" et en était le "poteau indicateur" n'aurait pourtant qu'un intérêt historique s'il ne marquait aussi un véritable tournant de son oeuvre et de sa vie.
     Edouard Manet, qui avait désespéré son père, magistrat parisien, en choisissant la vie d'artiste alors qu'on rêvait pour lui de l'Ecole navale, lui, élève de Thomas Couture qui n'avait retenu de sa formation classique que la nécessité de la fronde et de la rébellion, personnage contrasté pour qui la provocation n'était qu'une remise en cause esthétique et le scandale, la marque d'une véritable sincérité ou d'une authentique naïveté, allait trouver dans la guerre le fondement de convictions bien ancrées qui marqueraient durablement son art. La chrysalide était devenue homme!
          Le 8 septembre 1870, inquiet des conséquences de la guerre sur la sécurité de sa famille, Manet avait envoyé à Oloron-Sainte-Marie son épouse Suzanne et le fils de celle-ci, Léon Leenhoff. Un de ses amis, M. Lailhacar, lui avait proposé d'héberger sa famille dans une maison qu'il y possédait (actuellement propriété de la famille Souviron, rue Justice). Durant cette période, Edouard Manet, officier de réserve, servait la défense de Paris en tant que lieutenant d'artillerie.
Dans une excellente chronique, L. Debaix rappelle les intéressantes correspondances qu'il adressait à sa famille, à Oloron. Elle constituent d’abord, pour l'historien d'art, un ensemble de documents. explicites permettant de vérifier ce qui fonde l'originalité de Manet: un mélange de passion et de froide analyse qui le pousse à voir le plus d'éléments possibles. Elles révèlent aussi la sensibilité de l'homme et de l'époux : "J'ai été longtemps, ma chère Suzanne, à chercher ta photo: j'ai enfin trouvé l'album dans la table du salon et je puis regarder, quelquefois, ta bonne figure. Cette nuit je me suis réveillé croyant entendre ta voix qui m'appelait. Je voudrais être au moment de te revoir et le temps passe pour moi bien lentement". Elles témoignent aussi de l'engagement politique du peintre: "devant les prétentions outrecuidantes de l'ennemi, Paris est décidé à se défendre à outrance". Artiste inspiré, Edouard Manet devient aussi profondément patriote et attaché aux idées républicaines qu'il définit comme "le seul gouvernement des honnêtes gens, des gens tranquilles, intelligents". Il suit alors l’actualité politique, se faisant traiter comme Degas, par Mme Morisot, de "communeux", tant comme défenseur de la République, partisan de Gambetta, que comme peintre cherchant l'inspiration d'un sujet marquant son engagement. N'écrit-il pas alors: "Comme toutes ces sanglantes farces sont favorables aux arts!"
            Le drame a révélé son immense talent; et c'est dans cet esprit que, après la capitulation de Paris, démobilisé, il partira, le 12 février 1871, rejoindre sa famille, une semaine environ, à Oloron-Sainte-Marie. On imagine la joie des retrouvailles après les inquiétudes de longs mois de séparation. On imagine aussi combien d'événements dont il fut le témoin impuissant ont modifié l'état d'esprit du peintre.
     Les historiens d'art s'accordent à reconnaître que, dans l'enchantement de cette fin d'hiver 1871, les paysages exécutés à Oloron prennent un sens qu'ils n'auraient pas eu dans une autre circonstance. Ils expriment l'essentiel de la relation du personnage avec le monde où il existe: l'image fixe l'instant. Deux oeuvres de cette période nous sont connues. La première a malheureusement disparu. Il s'agit d'une esquisse sobrement intitulée "Paysage d'Oloron-Sainte-Marie", répertoriée sous le numéro 187 dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Manet, établi en 1932 par Paul Lamot et Georges Wildenstein. Nous n'avons que peu d'informations sur cette toile car elle a été écartée de la seconde édition de ce catalogue (1975), les auteurs ayant mis en doute la paternité de Manet. Aucune illustration photographique de cette huile n'est conservée et sa localisation (collection particulière ?) nous est Inconnue. . .(1)
              Heureusement, demeure pieusement conservé par la Fondation Bührle de Zurich, le magnifique tableau "Oloron-Sainte-Marie", huile sur toile (42,5 x 62,5 cm), parfaitement représentatif de la recherche d'Edouard Manet, "qui oscille entre l'observation contemporaine et l'éclectisme réaliste". Paul Lamot et Georges Wildenstein en donnent la description suivante: "Ce tableau représente Léon Leenhoff, le fils adoptif de Manet, âgé de dix-neuf ans. Il se penche par dessus la balustrade d'une galerie, située au dernier étage de la maison De Lailhacar, qui avait accueilli la famille de l'artiste. Ce qui nous fascine aujourd'hui, c'est ce qui a choqué jadis: la froide dureté de cette galerie, au premier plan, avec ses murs gris, ses montants rouge clairs et sa perspective accentuée qui s'oppose au tumulte des toits et au paysage vallonné. Seule la silhouette humaine, près de la barrière, est le lien entre les deux plans. La vision de cette galerie aux montants fragiles, Manet la doit aux estampes japonaises pour lesquelles il avait eu l'occasion de s'enthousiasmer à Paris, après 1860, en compagnie du graveur Bracquemond et de ses amis peintres.  Si l'on avait encore besoin d'une autre indication à cet égard, il faudrait évoquer le chat roulé en boule, en train de faire sa toilette; le sujet sera repris par Manet dans l'une de ses gravures japonaises: "Les chats" (1868/69)", écrivait Guérin dans "L'Oeuvre gravé de Manet" (Paris, 1944, nO52). Véritablement poignant par sa composition politique et psychologique que connaît alors Edouard Manet, c'est le contraste entre la beauté spectaculaire de ce paysage dominant le gave d'Ossau et cette sorte d'accablement qui étreint le personnage en manteau, habité d'un "sentiment d'attente et d'inaction", comme a écrit un critique d'art, qui frappe.  C'est que Manet connaît alors d'importants problèmes financiers, confiant à son ami Bracquemond: "Cette sacrée guerre m'a ruiné pour quelques années". Divers chroniqueurs affirment que, pour diminuer les frais de son séjour à Oloron, Manet aurait peint d'autre tableaux, dont l'un, au moins, aurait été vendu sur place... Ce serait une bien belle découverte que de le voir resurgir de quelque grenier oloronais où, dans l'indifférence totale, il sommeille depuis tant d'années!
                  Quoi qu'il en soit, en ce 21 février 1871, Edouard Manet et sa famille firent définitivement leurs adieux à Oloron-Sainte-Marie, ne voulant pas abuser de son hospitalité de M. de Lailhacar. Ils se rendirent à  Bordeaux, Arcachon, Boulogne-sur-Mer, Calais... avant  de retourner à Paris.
          Manet ne fut pas toujours reconnu de ses contemporains. L'Administration ne lui confia aucune commande et l'Etat ne donna aucune suite à ses velléités d'achat. Dans La Gazette de France du 21 juillet 1863, n'avait-on pas porté sur lui ce jugement sans concession: "Manet a les qualités qu'il faut pour être refusé à l'unanimité par tous les jurys du monde; ses personnages se découpent à l' emporte- pièce, avec une crudité qu'aucun compromis n'adoucit. Il a toute l'âpreté de ces fruits verts qui ne doivent jamais mûrir" ? Pour toute réponse, Manet répliquait: "Leur œil se fera". Il se fit, en effet, au point de le considérer aujourd'hui comme l'un des maîtres de la peinture française, dont Oloron s'enorgueillit d'avoir pu lui inspirer une de ses plus belles toiles.

 


NDLE / (1)

© Informatique Basco-Béarnaise Moderne  ™®   a retrouvé ,dans une collection particulière oloronaise, le tableau disparu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

cliquez sur la vignette pour une vue élargie….

 

 

retour