LA ROUTE D ‘ARLES

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Juan Andres Ezcurdia Conversations désultoires au Tribunal de la Sainte Inquisition

Huile sur noyer. Musée de l’Ermitage. Petrograd

Je naquis en l’an 1510 de Notre Seigneur, en la bourgade castillane de Castrillo Matajudios, hameau de la comarque de Castrojeriz, où, grâce à la bienveillance de mon grand-oncle Don Tomás de Torquemada, ma mère Dona Elvire put s’établir dans un mariage par lequel Don Jaime Etcheverry de Maysonnave y Loustaunau de Casanova, mon père, accéda aux plus hautes charges de l’Etat puisqu’ il fut le premier corregidor du port de la Vrai-Croix avant de devenir Vice-Roi des Indes.   

Je sais le secret qui pèse sur mes origines et sans doute l’épreuve de la cécité m’a-t-elle été octroyée par la Divine Providence pour me montrer digne d’être du sang du Grand Inquisiteur de Castille.

Comme l’a si bien écrit Abû-al-Wålìd Ibn Isà AI-Jåbaz Al-Mûsi (« Le boulanger de Murcie ») (1) « les musiciens sont ceux qui ont des oreilles au bout des doigts et le regard tourné vers l’âme ». Le Créateur, par Son Infinie Sagesse, a voulu que dans ma nuit je trouve ma petite musique. A ceux qui pourraient s’étonner de voir le petit neveu du grand Torquemada donner la parole à un mahométan je répondrais que Saint Dominique juge licite de citer un infidèle, sous réserve qu’il ne s’agisse point d’un membre de la déicide tribu de Juda.

J’entrais en 1525 au service de la Reine Isabelle (2) et de l’empereur Charles puis, en 1555, à celui du Roi Felipe dont j’avais composé la messe de baptême, sans me douter de l’importance que ce Prince aurait pour ma vie. Je l’accompagnais en effet en Italie, en Autriche, aux Pays Bas de Hollande, ainsi qu’a Londres pour les épousailles de la Reine Mary d’Angleterre. Ce ne fut que lorsque le Roi décida de marcher aux turcs que je pris quelque repos, n’ayant nulle envie de me faire estropier. Qu’un maître de chapelle aveugle revienne manchot de Lepante n’aurait rien ajouté a la gloire de la chrétienté. Ce n’était vraiment pas la place d’un homme d’esprit) (3)   

Je n’ai jamais porté le nom de Don Etcheberry ou Don Casanueva qui était celui du Vice-Roi mon père. Ma famille maternelle imposa l’usage de Don Antonio de Cabezón, du nom d’un village Cantabrique appartenant à la famille Torquemada.

 Mon fils préféré, Fernand, a choisi le nom de Casanueva de Castrojeriz, qui est devenu à la cour du roi François II Maisounave  de Quatre-Souris, puis, par dérision courtisane, Maisonneuve de Cinq-Gats (cinq chats! ) (4)  C’est lui qui, pour mon malheur, s’acoquina avec ce Laurent du Pont ou del Ponte, ce défroqué vénitien qui déposa des vers profanes sur mes plus beaux motets. Le plus connu d’entre eux...

« Belle qui tiens ma vie Approches toi donc viens

Approche toi donc viens

Ne me sois plus rebelle

Puisque mon coeur est tien

Pour mon mal apaiser

Donne moi un baiser »

 

… peut difficilement passer pour un hymne à Madame Notre Dame.

 

     Je regrette que mon fils ait du partager le sort de ce fripon de Del Puente mais des toits en plombs reposent nécessairement sur de sérénissimes murailles, à l’abri desquelles on est protégé des tentations du Malin.

     Ainsi vont toutes choses. Quelle fatalité, ou plutôt quelle Loi non écrite de la Providence fait que les enfants ressemblent tant aux parents qu’ils renouvellent les mêmes erreurs en prétextant s’en affranchir.

Lorsque je songe, par une nuit d’été, à ma descendance, j’éprouve le même vertige que l’on peut éprouver en observant la lente giration des astres, au fil des saisons et des jours, dans le ciel pur de Castille. La voûte céleste est telle que nos pères l’ont admirée, et tel que nos enfants le verront.

Quel sort sera réservé à notre humaine semence, à notre lignée légitime au premier chef mais aussi aux fruits d’instants d’égarement? Que sont devenues les petites Gertrude Pertl et Hanalore Mozart qui, lors d’un voyage en Bohème, avaient si bien enchanté la flûte de son Altesse Don Juan (5) que ce charmant monarque me pria de vérifier par moi-même, afin de ne pas répéter sans savoir, comme un papagayo (6) ?  Qu’est devenue cette petite morisque que je tirais des griffes inquisitoriales d’un dominicain trop zélé ?  j’ai oublié jusqu’à son prénom bien que j’en fisse long usage, avant de la marier à Artiaga, mon fidèle et intempérant cocher.

Ces copulations sont elles restées stériles ou bien, dans trois, quatre siècles, y aura-t-il des créatures qui sans savoir porteront en elles cette part de moi-même qu’Averroês désigne comme Al-désoxi et r ‘bönüclr (7) et qui serait l’humeur par laquelle le principe de filiation se transmet, exception faite de l’âme qui n’appartient qu’à Dieu. J’aime assez la description qu’en fait ce grand médecin, puisqu’il la décrit comme une escalier enroulé en colimaçon, dans l’espace du temps, et sur lequel on finit toujours par se retrouver dans la même direction, mais à un niveau différent.

Etant aveugle, je vois bien cette image.

 notes de l’editeur

(1)   ne pas confondre avec Abû aI-Wålid Ibn Rüshd, dit Averroes

(2)   Isabelle de Portugal, épouse de Charles Quint, et non Isabelle de Castille

(3)   Ni d’un valet pourra, le temps accompli, ajouter un certain Figaro.

(4)   C’est sous le nom de Chevalier de SEINGALT que Théophraste Renaudot l‘évoquera en 1631, dans sa Gazette de France

(5)   Don Juan d'Autriche, frère du Roi Philippe

(6)   volaille de la famille des psittacidés

(7)   il serait aventureux d’affirmer qu’il s’agît de l’acide désoxyribonucléique (ADN)

Claude Vignon
Les quatre pères de l'Eglise latine
Rome, curie générale de la Compagnie de Jésus

 

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